En quête de nos pénates gasconnes
Heurs et malheurs de 2 ingénus
Par Candide LEBLEU
(Le client mystère)
Première Partie
Les années ont passé depuis notre noviciat immobilier mais les souvenirs demeurent, frustrants parfois, mais aussi drôles ou émouvants.
Parisiens, l’accès à la propriété y est une extravagance pécuniaire et un sujet éminemment politique ! Le prix du mètre carré terrasse les moins à plaindre et le « souplex* de caractère à rénover » ou « studio atypique, fontaine sur palier, vue périphérique », seules occurrences de votre recherche SeLoger, vous questionnent sur le sens de la vie.
* Mais qu’est‐ce donc qu’un souplex ? L’agent immobilier parisien se trouva fort marri devant le manque de mètres carrés dans la capitale. La perspective d’une stagnation de ses commissions le rendit aussi grave que créatif. Une analyse méthodique de l’habitat dominant, à savoir l’immeuble, lui fit voir la lumière. Il commercialisait jusqu’alors des appartements, des chambres de service, des bouts de couloir, des loges, des parkings, des bureaux, des échoppes, des cabanons dans la cour et des caves. Alors avait‐il vraiment considéré toutes les opportunités ? « Mais c’est bien sûr » se dit‐il suffoqué par sa propre inventivité perverse : « Il faut combiner ! Puisque la réunion de 2 étages nobles, le duplex, comble les plus nantis, il me faut conceptualiser l’équivalent low‐cost pour les moins fortunés et vendre des logements sur 2 niveaux dont l’étage inférieur sera sous terre ! » A un rez‐de‐chaussée exigu serait directement reliée une cave, une ancienne chaufferie ou toute autre réserve. Le souplex ou duplex inversé (si, si..) était né, barbarisme cache‐misère dont ledit agent ne fut pas peu fier, et fumisterie immobilière dont le principal atout fut de pouvoir cultiver des champignons de Paris dans sa propre cuisine…. borgne.
Nous n’avions donc pas les moyens de nos envies parisiennes mais fi, la propriété n’était pas un absolu à atteindre. Hasard et fortune nous menèrent, lors d’une location estivale de dernière minute, vers une belle terre du sud‐ouest, le Gers, qui nous révéla sa beauté simple et son rythme serein, sans tambour ni Rolex. Une magnifique maison de pierres blondes (aujourd’hui en vente chez Bliss), un été azur, des chemins vicinaux bucoliques bordés de tournesols chatoyants, des légumes abordables au goût affirmé et des Gersois affables.
Poncifs dites‐vous ? En êtes‐vous sûr ?
L’évidence s’imposa. Nous avions trouvé ce que ne nous ne cherchions pas. Le charme nous avait cueilli et nous étions pleinement gasco‐compatibles. Très vite, l’idée de s’y ancrer nous vint, et nous rêvâmes d’une bâtisse et d’un lopin de cette terre.
S’il nous était impossible de nous y installer à demeure, qu’importe, cela constituerait notre viatique 3ème âge et d’ici là nous y ancrerions notre histoire, entourés d’amis et de famille.
Mais aux rêves de douceur se heurtent les réalités immobilières et financières ! Notre quête dura 4 longues années, une odyssée personnelle, faite d’espoirs, de désappointements, de renoncements passagers mais couronnée au final par une jolie maison carrée aux volets bleus, la façade noyée sous la glycine et perdue au milieu de près de 4 hectares de prairies et de bois.
Deuxième partie
4 ans pour trouver une maison ?? L’étonnement est légitime. Mais au luxe du temps s’ajoutait l’exigence de ceux qui ont peu, une grande méconnaissance de la région et une ignorance absolue du marché immobilier local et des arcanes de l’achat. Des bleus de Lectoure !
Devant tant de lacunes, par où commencer ? Ordre et méthode nous sauvèrent. Un conseil de famille entérina, à l’unanimité des voix de ses deux membres, la règle de la primauté de l’emplacement. Nous devions par tous temps, saisons et circonstances, avoir plaisir à venir et à revenir. Nous pourrions toujours remplacer des tuiles et repeindre des murs, bref aménager ou rénover une maison, mais jamais la transplanter.
Ce principe posé, il fallait tout de même circonscrire notre quête. Serait‐ce l’Arrats ou le Val d’Adour ? Le nord ou le sud ? Comment choisir ? L’accessibilité depuis notre domicile principal trancha en faveur du quart nord‐est du département, qui plus est région de notre séjour originel.
Alors, nous astreignant à un strict régime de vacances gersoises, et ce en toutes saisons, nous entreprîmes de sillonner Lomagne, Ténarèze et Haut Armagnac, apprîmes le nom des villes et des bourgs, vagabondâmes sur les chemins de traverse, goutâmes à la garbure l’hiver et aux fruits d’automne, fêtâmes Noël à Lectoure et Nouvel An à Condom, visitâmes tous les villages de Saint‐Pouy‐Petit à Monfort, et de Lavardens à Saint Mézard. Amis et famille nous rejoignirent souvent pour partager un gîte et dévorer quelques magrets. L’ambiance était toujours joyeuse, le vin gouleyant, l’armagnac bienfaiteur et la nuit étoilée.
Tous les indicateurs étaient au vert vif, il « nous fallait » décidément une maison dans le Gers et ce entre Condom et Saint Clar de préférence. Nous y cultivions en effet déjà des habitudes, sympathisions avec les commerçants, munis d’un palmarès des plus beaux villages et des routes les plus pittoresques que nous avions établi.
L’emplacement circonscrit, vint le temps de se frotter à la réalité immobilière. A dieu vat, sans peur et sans expérience, nous sautâmes dans ce monde inconnu pour nous, mais dont ceux qui en sont revenus ne sont jamais avares d’anecdotes, de recommandations ou de narrations tragi‐comiques.
Troisième partie
L’immobilier, un monde avec ses personnages, son jargon et ses techniques.
1. Les personnages
Après des recherches en ligne et quelques visites virtuelles, il fut temps de revenir au réel et de rencontrer les négociateurs immobiliers en chair et en os. A de parfaits inconnus, nous dûmes dévoiler l’intimité de notre projet, révéler la minceur de notre fortune et garantir la solvabilité de notre banquier.
Nous sonnâmes à bien des portes et rencontrâmes une gamme hétéroclite de personnages.
Il y eut l’agent mandataire joignable 24h/24h opérant depuis sa cuisine familiale, et l’hystérique omnisciente (…) qui nous entraina à marche forcée dans un marathon frénétique de visites aussi frustrantes qu’inutiles. Et puis, nous fîmes connaissance de la diaspora de sa majesté, les charmantes dames anglaises reconverties dans la profession par nécessité ou goût.
Nous eûmes à faire à des professionnels avérés, patients et avenants. Mais nous côtoyâmes également des prétentieux affabulateurs, des modestes diligents, des novices impétueux, des dilettantes inefficaces et des experts…de quoi ? La question reste entière.
Et puis, nous rencontrâmes Karen qui travaillait alors dans une agence franchisée de Lectoure. Son affabilité, ses compétences, sa saine distance par rapport à son métier et sa bonne humeur nous séduisirent. A la litanie des chiffres, elle préférait nous instruire sur l’histoire des lieux et
nous dévoiler ce qu’elle pouvait des occupants. Ses descriptions étaient à nulles autres pareilles, vivantes, vraies, évocatrices. La visite
commençait bien avant l’arrivée sur les lieux. Elle nous éduqua sur la valeur réelle des biens, nous conseilla sur les meilleurs « spots ».
Les maisons qu’elle nous fit visiter furent innombrables. Certaines des visites furent mémorables. Jamais elle ne perdit patience, même si elle sut adroitement nous rappeler que notre budget était bien serré pour des exigences comme les nôtres.
Appel après appel, nous rabâchions la même antienne :
“Bonjour, je vous contacte au sujet d’une maison vue sur internet près de Sainte Radegonde à 200.000 €.”
Les réponses tombaient, professionnelles ou cocasses, frustrantes ou irritantes…
Réponse version « je suis un homme pressé je travaille dans l’immobilier » :
“Bonjour, oui là j’ai pas le temps là mais c’est vendu….bip, bip,bip”
Réponse version « je travaille à la maison » :
“Dylan, arrête ce foutu jeu débile, papa travaille !”
Réponse version « modernité douce sans filtre»
“Ah oui vous avez vu ça sur les internets. Attendez, je prends mon classeur.
Simooone ! Il est où le classeur avec les fiches…ah voici Monsieur… une maison
à Sainte Radegonde vous dites …non je ne vois pas…ah si ça doit être la maison
du pendu…oh pardon…ben dites, c’est pas donné vu c’que c’est…enfin vous
verrez bien.”
Réponse version « incollable, je maitrise les données »
“- C’est une maison ancienne DE charme, 123.78m2, 2 chambres, 2317m2 de
terrain, 512 € de taxe foncière.
Vous voulez savoir quoi d’autre ?”
“- Le secret de la vie ?”
“- Kwaaa ?”
“- Rien, rien…Puis‐je la visiter ?”
“-euh là je sais pas, c’est un produit à ma collègue Cindy…elle est pas là,
son chien va pas bien.”
Réponse version « mais vous êtes pauvre ! »
“- Ah oui… je crois voir…évidemment à ce prix…c’est pittoresque, notez.”
“- Ce pittoresque produit est‐il visible ?”
“- Visiter, vraiment ?…ah ça va être compliqué, j’ai rendez‐vous avec un très
gros client anglais à 15h qui arrive de
Ni‐ou‐jor‐que.”
“- Good for you, you conceited arse hole!”
“- Pardon, vous dites ?”
“– Qu’avec votre niveau d’anglais, petit péteux prétentieux, vous avez plus de
chances de vendre des espadrilles à un eskimo qu’un château aux Spice Girls!”
– Bip, bip, bip
2. Le langage et les techniques
Bien des gens vous le diront, il faut traduire le dialecte immobilier. On pense à tort connaître le sens des mots lus dans les annonces mais ce sont en réalité des faux amis. Que l’auteur de l’annonce soit factuel ou lyrique, disert ou concis, il est nécessaire de confronter la prose à la réalité. Quelques visites suffisent à acquérir un vocabulaire suffisant pour se comprendre.
Il existe non loin de Condom un bourg du nom de Valence sur Baïse. Si vous n’avez pas manqué de noter l’importance du tréma sur le i, il n’en fut pas de même de la traduction automatique
qui, sur un site anglophone, rebaptisa la bourgade « Valence on Fuck ».
Tout d’abord, la majorité des agents immobiliers, dans un souci d’efficacité qui leur est cher, ont opéré un choc de simplification et balayé les styles architecturaux. Finies, les confusions et les arguties interminables ! Finis, le Modernisme mid‐century, le Néogothique flamboyant, le Tudor, le Renaissance italienne et autres Jungenstil ou Art Nouveau ! Le style est remplacé par le concept d’ « époques », qui sont au nombre de 3. L’époque ancienne avant 1950, l’époque contemporaine jusqu’en 2000 et l’époque moderne. Si certains historiens de l’art s’offusquent, avouez qu’on y voit plus clair !
A contrario, dans le descriptif des biens, l’agent immobilier reste un puriste. Il déploie son vocabulaire spécifique et manie avec aisance l’euphémisme, le sous‐entendu, le non‐dit, et l’hyperbole.
Une maison est rarement mitoyenne, elle est « non isolée » ; elle n’est pas perdue au fond d’un bois sombre, mais « calme » ; biscornue et mal foutue ? que nenni, c’est une « construction atypique » ; hideuse avec des baies vitrées ? « Villa d’architecte », voyons ! Les pièces ne sont pas ridiculement étriquées, mais « charmantes » ou « intimes ». Une maison à rafraîchir ? Lire qu’elle appartenait à la famille Adams. Très belles prestations ? Une salle de bains en faux marbre. Conservant des éléments d’origine ? Un vieil évier en pierre qui va vous pourrir l’aménagement de votre cuisine.
Mais même quand le « produit » est moche à fuir ou adossé à un abattoir, il reste le qualificatif magique : POTENTIEL. Le mot est là pour balayer tous les défauts, débrider votre créativité et enflammer votre imaginaire. Le potentiel vous transporte dans les jardins de l’Alhambra, vous êtes l’architecte du Taj Mahal, le propriétaire du Palais Farnèse et tout ça depuis votre perron de Saint Puy.
Enfin, il est utile de savoir que la gradation de la beauté et la qualification de la bâtisse se fait par tranches de prix. En dessous de 200 000 €, vous n’aurez pas mieux qu’un ravissant refuge.
Allongez 100 000 de plus, et à vous la jolie maison. Au‐dessus de 400 000 €, la maison devient propriété et n’est rien moins que superbe ou magnifique. A partir de 500 000 €, les demeures le disputent aux chartreuses et les châteaux aux domaines, qui sont comme il se doit exceptionnels, somptueux, incomparables et uniques. La richesse du vocabulaire suit la courbe des prix.
S’il est une spécificité immobilière gersoise ignorée à Paris ce sont les dépendances. Rares sont les maisons qui, en campagne, n’en disposent pas au moins d’une. L’agent immobilier, frustré de ne pouvoir correctement monnayer ces mètres carrés, n’en tente pas moins grâce à elles d’emporter l’affaire, en agaçant sournoisement deux frustrations assez communes du citadin ; d’une part, son manque permanent de place, et d’autre part sa soi‐disant créativité, lésée par ce même manque d’espace. « Quel potentiel dans ce hangar pour votre collection d’enclumes japonaises ! », s’entend‐il dire. Et lui reste ahuri à la vue du hangar en tôle de 400m2, qui décidément est disproportionné pour garer son break Volvo et sa trottinette électrique.
Nous nous familiarisâmes également avec leurs façons de faire. Deux techniques principales coexistaient : celle qui consiste à s’assurer du sérieux et de la volonté du client avant de courir les chemins. La première visite est précédée d’un rendez‐vous dans les bureaux du conseiller immobilier, histoire de cerner le futur acheteur, ses souhaits, ses critères et l’adéquation avec ses moyens. Et la technique des stakhanovistes de la visite, qui vous font visiter tout et n’importe quoi, espérant que leur endurance aura raison de votre lassitude.
Mais si les deux catégories comptent de nombreux professionnels, nous eûmes aussi notre lot de bonimenteurs, de taiseux, qui ne faisaient qu’ouvrir la porte, de gentils menteurs pris la main dans le sac, et de bavards assourdissants dont la logorrhée comblait le manque de professionnalisme.
Quel est le point commun à tous ces agents ? Leur goût du secret. Ils protègent si farouchement la localisation des maisons que l’Arche d’Alliance doit y être cachée. Avant de consentir à vous faire visiter leurs « produits », ils exigent un engagement manuscrit qui vous lie, vous et votre descendance, et vous promet aux galères si par mégarde, malveillance ou mésentente, vous reveniez sur les lieux avec un de leurs confrères. S’ils osaient, ils vous banderaient les yeux pour y aller.
A Suivre…