Histoires gasconnes

La découverte du Gers est une expérience très personnelle.

Voici la mienne.

Bien avant la Gascogne il y eut Paris et encore avant le nord-ouest de l’Angleterre d’où je suis originaire. C’est un pays de vallées fertiles et de cottages à toit de chaume, de maisons à colombages et de pubs chaleureux. Enfant, où que se portait mon regard vaches et moutons paissaient dans les champs. J’adorais parcourir à vélo les chemins de campagne à la recherche de mures ou encore, singulière enfant que j’étais, visiter les cimetières et m’imaginer les vies des personnes dont les noms ornaient les pierres tombales.

A 21 ans j’eus envie de voyager et ce loin de toute campagne ! Rêveuse et romantique je m’imaginais à Paris, nourrie de soupe à l’oignon et habitant au dernier étage d’un immeuble décrépi de Montmartre dans une mansarde aux parquets grinçants avec une vue sur le Sacré Cœur. Les journées se passeraient à écrire sur les terrasses parisiennes et le grand amour ne tarderait pas à surgir.

A quelques détails près je connus tout cela pendant les 16 années qui suivirent. La mansarde s’avéra être une maison en banlieue avec deux enfants et je dus cuisiner moi-même la soupe à l’oignon. Quant au grand amour ce fut un vrai défi. Une séparation plus tard et seule avec mes enfants ma principale préoccupation était de leur trouver un nouveau foyer gai et chaleureux et loin de ma vie d’avant.

Ce qu’il me fallait c’était un changement d’air radical, une vraie aventure !

Un jour dans ma maison en briques rouges de La Frette sur Seine, assise à mon bureau, telle Alice aux pays des merveilles je suis passée à travers le miroir. Un article sur internet venait de me faire découvrir la Gascogne et le Gers, deux noms que je savais à peine prononcer, et allait changer ma vie pour toujours.

Un mois plus tard je visitais des maisons avec deux élégants agents commerciaux anglais. Quelle ne fut pas ma première surprise, habituée à seulement parler français en France, d’entendre tant de conversations en anglais sur le marché et dans les magasins. Etais-je en Angleterre ou véritablement dans cette jolie campagne française où comme le disait Michel Serrault « Le bonheur est dans le pré » ?

J’étais bien loin de penser que je deviendrai moi-même une agent immobilier anglaise dans le Gers.

Imprudemment, je ne visitais que deux maisons. La première était un cauchemar mais la seconde exactement comme j’imaginais une maison de campagne gasconne. Je fis une offre et retournais à Paris angoissée à l’idée qu’il me fallait maintenant vendre ma maison à La Frette.

Le propriétaire de cette « belle maison de maître gersoise avec 1ha de terres » était un écrivain pour enfants. Excentrique, il avait aménagé un ancien camion de pompiers pour transporter ses deux ânes adorés. Le terrain d’un hectare vendu avec la maison était pour moi la promesse de mille aventures possibles. Bercée par les histoires de Winnie l’ourson et de la forêt des rêves bleus, l’idée de posséder mes propres bois était encore plus séduisante que la maison elle-même.

Trois mois plus tard nous débarquions dans notre nouveau foyer. Les premières expériences en Gascogne, surtout quand on est une citadine, laissent des souvenirs impérissables. A défaut de retrouver Bourriquet ou Winnie dans les bois je découvris un tonneau rempli d’eau avec un ragondin noyé. Le cadavre gonflé et sans poils me pétrifia avant que je prenne mes jambes à mon cou et déguerpisse horrifiée. Les seules choses que j’avais vu flotter jusqu’alors étaient les croutons dans ma soupe à l’oignon !

Après avoir vécu à Paris, Lectoure ressemblait à un village imaginaire de conte de fées. Mon père et moi nous régalions de montagnes de fromages et de légumes du marché. Nous dormions comme des loirs assommés par les quantités de Floc sucré que nous buvions comme du petit lait. Nous apprîmes également à nos dépens que les estocs du Pousse Rapière sont implacables et cruels pour les pauvres méninges de ceux qui abusent de l’élixir.

Fréquemment, lorsque je me promenais dans le jardin, je découvrais les restes enfouis de repas estivaux passés. Il y eut le caquelon de fondu dans lequel une grenouille avait trouvé refuge, les restes de feux ci et là, et les assiettes à escargots cassées abritant des gastéropodes vivants. Je ne pouvais qu’imaginer les anciens occupants mangeant dehors le plus souvent possible et peu enclins à ramasser plats et vaisselle, peut être grisés par les vins locaux. Qu’il restât des assiettes dans les placards demeure un mystère.

Mon père et moi nous rendîmes vite compte qu’une odeur fétide emplissait la cuisine malgré les nettoyages répétés et une bonne aération. Une chaude journée d’août en revenant du marché je découvris mon père en nage, une masse dans une main et une bière dans l’autre et les frêles placards de cuisine arrachés et jetés au sol.

« REGARDE » me cria-t-il « MAIS REGARDE »

Là où les placards avaient été installés plusieurs rats en état de décomposition avancé gisaient. C’est à ce moment que je me suis rendu compte qu’il fallait avoir le cœur bien accroché pour rénover une maison en Gascogne. Mon goût des placards surélevés, de ceux sous lesquels on peut balayer, est né ce jour-là.

Quand la cuisine fut rénovée et la fenêtre changée, il apparut que notre tirelire était bien légère et silencieuse.

Il était donc temps de chercher un gagne-pain. Rétrospectivement j’aurais évidemment dû m’en occuper avant même la première visite mais la douceur de vivre de Lectoure en été avait relégué bien loin ces considérations matérielles. Où que se tournait mon regard les gens semblaient heureux et insouciants. Leur seule préoccupation semblait être culinaire au vu de leur assiduité au marché du vendredi à Lectoure.

Mais les premières feuilles du vieux noisetier tapissaient maintenant le jardin et le vent frais du matin s’insinuait par la fenêtre pourrie. L’automne et l’hiver s’annonçaient sans ambiguïté.

Une anglaise aux modestes moyens devait bien pouvoir trouver un boulot pour survivre dans le Gers quand même.

Mais lequel ?

A suivre…