Tim & Mike
Des puces au raffinement à la française
en sept ans…
Qui : Tim & Mike
Où : Marsolan
“Vos vies avant”
Tim : passer notre retraite en Angleterre n’a jamais été une option. Nous savions qu’il y avait une maison pour nous quelque part dans le monde en dehors du Royaume-Uni.
Mike : la plupart des gens parlent d’échapper à la dure vie en Angleterre pour trouver un rythme de vie plus relaxant et agréable à l’étranger. Ce n’était pas du tout notre cas. Nous avions une vie merveilleuse, partagés entre nos maisons : Tim à Poole et moi à Ascot. Nous adorions inviter des gens et recevoir tous nos amis, nous n’étions jamais à la maison, toujours sortis pour aller au théâtre ou en voyage aux Maldives, en Thaïlande ou aux Seychelles. Il n’y avait jamais un moment ennuyeux. Mais à cette époque, nous cherchions à habiter ensemble et, pour la première fois, à partager un projet en commun. Quelque chose à planifier ensemble. Nous n’avions pas réalisé le travail acharné qu’entraînerait notre nouvelle vie.
Nous avons à un moment pensé acheter en Croatie – mais nous avons changé d’avis à cause de nos deux terriers Highland, Hamish et Taggart ! Nous voulions pouvoir les emmener en voyage avec nous et ce n’était pas possible en Croatie. En quelque sorte, la Gascogne était notre position de repli. L’endroit le plus éloigné où nous pouvions prendre un ferry de nuit et conduire avec 2 chiens !
Mike : nous n’avions pas d’emploi du temps pour le projet. Dans nos esprits, c’était quelque chose que nous ferions une fois à la retraite. Nous n’avions même pas vraiment opté de manière définitive pour la France. Mais nous avons rencontré Karen Pegg qui à l’époque travaillait pour une autre agence. De retour à la maison après une visite en Gascogne, nous avons commencé à échanger des mails et je lui ai dit que, par-dessus tout, j’étais amoureux de l’idée d’acheter un pigeonnier, qui est un élément architectural incontournable du paysage Gascon traditionnel. Karen m’a envoyé les photos d’un pigeonnier au nord de Saint-Clar ; une ruine totale ! Nous avons réservé une chambre à l’hôtel Lous Grits à Marsolan et nous sommes partis ensemble le visiter.
Mike : à l’issue de cette première visite en Gascogne, je repartais déçu et sans enthousiasme à l’idée d’habiter dans cet endroit. J’ai eu une dispute avec Tim qui était déjà sous le charme de la région. Au début, j’étais complétement désabusé – nous sommes arrivés un lundi et, comme c’est la coutume ici, tout était fermé. Le seul endroit pour manger était une supérette Casino et il pleuvait des cordes. Nous nous sommes assis sur le parking et avons mangé des sandwiches moisis et, comme vous pouvez l’imaginer, c’était très loin de la vision que j’avais du Sud-Ouest de la France. Mais une fois que le soleil a pointé ses rayons dorés sur la campagne autour de nous, j’ai réalisé que la Gascogne était un endroit spécial.
Avoir rencontré Karen lors de cette première visite et pouvoir communiquer en anglais a renforcé notre idée d’acheter en Gascogne. Nous nous souviendrons toujours de certaines maisons que Karen nous a fait visiter. Nous avions dit que la maison ne devait pas être trop chère et nous nous attendions à visiter des maisons inhabitables, mais nous avons tout de même été surpris par certaines propriétés que nous avons vues.
La première était une énorme ferme délabrée. Karen nous avait prévenus de ne pas nous inquiéter quand nous sommes entrés dans la maison où il faisait une pénombre absolue. Nous sommes entrés dans une cuisine énorme et caverneuse. Un peu de lumière passait par les fentes des volets et nous avons pu entrevoir l’ombre de la propriétaire de la maison qui était en train d’éplucher des légumes sous une chaudière à gaz à l’aspect dangereux qui était plus ou moins accrochée au mur. Karen a ouvert la fenêtre et un rayon de soleil est entré dans la pièce et s’est arrêté sur une corbeille de fruits qui était posée sur une vieille table. Malgré les ordures autour de nous, il y avait quelque chose de beau dans ces fruits frais éclairés par un rayon de soleil. Nous avons remarqué qu’au-dessus de la tête de la femme, un chapelet de saucissons secs était accroché aux poutres, entouré par une nuée de mouches, La propriété était bien trop grande pour nous, et nous sommes donc allés voir le pigeonnier auquel Tim avait rêvé pendant toutes ces semaines. Karen nous avait avertis que la réalité ne serait peut-être pas à la hauteur de nos attentes mais nous étions déterminés ! Quelle déception! Il était sur un tout petit bout de terrain, un petit bâtiment tout triste et fissuré sans aucune possibilité d’agrandissement. Tout juste assez grand pour Taggart et Hamish. Nous étions anéantis. Nous y avons passé en tout cinq minutes, juste le temps pour les chiens de faire leurs besoins. De retour dans la voiture, Karen nous a promis de nous faire voir une dernière propriété et nous a avertis de nous accrocher car elle avait besoin d’énormément de travaux.
Tim : Nous avons monté un sentier escarpé à travers les bois jusqu’à un petit hameau juste à l’extérieur de Marsolan. En haut, perchée dans la forêt, et surplombant les champs en-dessous, il y avait une vieille maison en pierre visiblement en ruine. Karen n’avait pas la clé, mais elle nous a dit que nous n’en aurions pas besoin, et nous sommes entrés par le côté de la maison, par la porte de grange qui était cassée. Nous avons été forcés de tenir les chiens en l’air pour les protéger des puces ; dès que nous sommes entrés, elles se sont accrochées à nos vêtements nous piquant partout où elles pouvaient; le pantalon blanc de Karen en était recouvert de haut en bas !
La propriété comprenait une vieille maison gasconne avec un toit défoncé et une grange attenante sur le côté. Nous avons essayé de monter les vieux escaliers en bois, mais pendant que nous montions, ils se sont cassés sous notre poids et nous avons dû redescendre et imaginer comment devait être le premier étage de la maison. En bas, où le toit était tombé, certaines pièces étaient inaccessibles et un arbre avait commencé à pousser à l’intérieur. Il était impossible d’imaginer que des gens avaient vécu dans cette maison, a fortiori seulement quelques mois auparavant, et la nature commençait déjà à réclamer la maison. Sans travaux, elle serait tombée en ruines au bout de quelques années.
La cuisine était insalubre, avec des piles de vieilles casseroles et bouilloires couvertes de moisi. Il y avait un vieux poêle à bois et la cheminée était remplie de déchets. Il n’y avait pas l’eau courante ni même le vestige d’une salle de bains ou de toilettes. Karen nous a dit que les puces y habitaient depuis des années. Dans les années 60 ou 70, la femme du boulanger local avait peur d’en attraper quand elle venait livrer le pain ; elle refusait d’entrer dans la maison, alors elle jetait le pain de très loin pour ne pas repartir chez elle avec des invités inopportuns sur ses vêtements.
Mike : Ce sont les magnifiques poutres de la grange, heureusement encore préservées, qui m’ont convaincu. A l’origine, la grange avait deux étages avec, entre les deux, un plancher en bois en partie démoli ; mais les poutres que nous pouvions voir au travers des trous du plancher étaient magnifiques et en parfait état après presque deux siècles. En-dessous, la grange était dans un sale état. Un mur était couvert avec de l’urine de vache, vieille de plusieurs siècles, et il y avait encore le canal au milieu. C’est le volume de la pièce qui a enflammé mon imagination, et je pouvais voir dans ma tête une pièce de réception magnifique une fois que le plafond pourri aurait été enlevé.
Tim : Après avoir visité la maison et pris des photos, nous nous sommes dit au revoir et sommes retournés à Bergerac, où nous avons été violemment malades avec une intoxication alimentaire à cause d’un steak douteux. Nous avons passé la nuit à vomir toutes les demi-heures, et entre deux crises, nous avons décidé que, quand nous retournerions en France quelques semaines plus tard, nous achèterions la maison si elle était encore sur le marché. Bien sûr, qu’elle était encore sur le marché quand nous sommes revenus ! Personne d’autre n’était assez fou pour l’acheter.
Nous n’avons jamais réfléchi combien cela allait coûter de la rénover. Nous avions imaginé un total de 250 000 £ mais en fait nous avons dépensé presque le double. Vu la taille de la propriété, nous avons dû faire des compromis. Par exemple le sol. Nous aurions bien aimé mettre des pierres naturelles partout mais c’était tout simplement trop et notre budget a rapidement été mangé par le coût des réparations structurelles. Au final, nous avons choisi des carreaux ton pierre naturelle mais nous sommes ravis du résultat.
Karen nous a mis en contact avec un architecte de Toulouse. Il était plein d’enthousiasme pour le projet – à part que nous n’étions d’accord avec rien de ce qu’il disait ! Par exemple, il pensait que la maison était trop grande pour deux personnes, sans famille et avec juste deux chiens. Il a essayé de nous convaincre d’enlever le toit de la grange et de garder les murs en pierre pour en faire une cour intérieure et ainsi réduire la surface de la maison. Mais dès le début, nous avions rêvé de transformer la grange en une magnifique pièce de réception, ce qu’elle est aujourd’hui, et nous n’avons pas cédé. Nous avons complétement modifié la disposition de la maison par rapport aux plans de l’architecte, en plaçant la cuisine et les chambres exactement à l’opposé d’où il les avait mis. Cela a provoqué pas mal de grincements de dents de sa part mais nous voulions que la maison marche pour nous.
Mike : les travaux ont commencé dès que le notaire nous a remis les clés. Nous avions demandé à la famille de vider la maison de tout ce qui traînait de manière à y voir plus clair. Certes, la maison était vide mais ils avaient tout empilé dans le jardin, et ils avaient essayé de mettre le feu à la pile, mais sans trop de succès. Le tas à moitié brûlé contenait un vieux lit et un matelas avec des ressorts qui sortaient. Une remorque cassée, des jerricans de pétrole dont le contenu avait été versé sur le sol. Il y avait un vieux réservoir d’eau, que les ouvriers ont presque dû faire exploser pour l’enlever et une énorme cuve à vin qui a dû être démolie ; sans parler qu’il a fallu se débarrasser des poutres pourries et des arbres qui poussaient à l’intérieur. Les ouvriers nous ont dit que la première chose qu’ils avaient faite était de se débarrasser des puces. Tout ce qui était à l’intérieur de la maison avait été sorti et brûlé.
Quand nous venions voir l’avancement des travaux, nous restions au très chic et élégant hôtel Lous Grits, mais souvent nous hésitions à revenir dans nos chambres de peur que des puces se soient accrochées à nos vêtements. L’architecte a embauché un maçon portugais qui connaissait parfaitement le travail de la pierre. Le seul problème était qu’il avait un problème avec l’alcool et qu’il disparaissait pendant des jours, typiquement juste après avoir été payé, jusqu’à ce qu’on le retrouve endormi dans un fossé, et qu’il revienne travailler un peu honteux dès qu’il n’avait plus d’argent. Nous avons dû nous habituer à ces aléas et à surveiller les travaux à distance. Avec du recul, ce n’est pas quelque chose que nous recommanderions. Il est important d’être à proximité pour suivre l’avancement des travaux. Aussi, en regardant les photographies après toutes ces années, je pense que nous étions fous d’entreprendre un tel projet en habitant à des centaines de kilomètres. Mais il y avait quelque chose dans les proportions de la maison qui fonctionnait pour nous. En fait, nous avons très peu changé la disposition originale de la maison quand elle a été construite en 1840. Le plus grand changement que nous avons fait est la rénovation de la grange.
Tim : la première fois que nous sommes restés dans la maison, c’était pour Noël. Le chauffage qui venait d’être installé ne marchait pas. Nous avions des amis qui étaient venus d’Angleterre et nous étions tous serrés sur le canapé, à côté du feu dans des sacs de couchage avec de la buée qui nous sortait de la bouche. Le compteur électrique n’arrêtait pas de sauter alors que nous essayions de faire cuire une dinde, ce qui prit des heures. Et malgré tout, la maison nous a accueillis et nous nous sentions à l’aise. Il y avait tant à faire, nous n’avions jamais imaginé le temps que cela prendrait. Sept ans plus tard, nous venons de prendre le dernier virage et nous pouvons enfin voir la fin approcher. Ce qui nous semblait parfois mission impossible est maintenant quelque chose que nous sommes fiers d’avoir fait ensemble. Nous avons appris beaucoup durant le processus, le plus important étant que tout est possible si on le veut vraiment. Il faut garder son côté romantique et, de temps en temps, laisser son cœur gagner sur sa tête. Parfois, les décisions que vous prenez ne sont ni les plus pratiques ni les plus faciles, mais, si vous enlevez votre cœur de l’équation, vous ruinez l’expérience pour vous-même. Ce qui est vraiment important à la fin est d’être heureux avec soi-même et de profiter des résultats de tout ce dur labeur.
Mike : J’adore ma vie ici, même si elle est complétement différente de celle que j’avais avant, avec toutes ses sorties. Aujourd’hui si vous me demandez ce qui me rend heureux, je vous répondrai de m’asseoir sur mon tracteur et de regarder six semaines de mauvaises herbes, qui ont poussé pendant notre absence, disparaître grâce à mes efforts. Et rentrer dans la maison pour une délicieuse bière bien fraîche, me relaxer et profiter de la sensation de travail accompli.
Tim : Et si vous me demandez, je vous dirai un long petit déjeuner sur la terrasse, en regardant Mike tondre la pelouse!